TEMPIO

par M. Valery

Bibliothécaire du Roi aux Palais de Versailles et de Trianon

Voyages en Corse, a l’ile d’Elbe, et en Sardaigne

Paris 1837

Librairie de L. Bourgeois-Maze, Editeur, Quai Voltaire, N. 23

en italien: 

Les monts de Limbara, une des plus hautes chaînes de montagnes de la Sardaigne, et dont le pic principal, le Gigantino, s’élève de douze cent dix-sept mètres au-dessus du niveau de la mer, ces monts qui de la plaine présentent avec leurs crêtes dentelées un si pittoresque aspect, sont arrosés par d’abondantes sources et de nombreux ruisseaux qui descendent jusqu’à la mer. […]
Vittorio Ruggero - Punta Balistreri à gauche, Giogantinu à droite
Les bois que j’ai traversés sur les flancs des monts de Limbara, offraient un grand nombre d’arbres fruitiers devenus sauvages.

Quelques arbres assez élevés avaient été barbarement brûlés et coupés par les bergers, afin de fournir de leurs feuilles quelque pâture aux bestiaux. Le fer et le feu des pâtres ravagent impunément les autres forêts de la Sardaigne. On ne remarquait aucun de ces arbres colosses, libres monuments de la nature que la main de l’homme améliore. La conservation des forêts est là très-négligée, à peu près nulle. […]

A cinq heures de Berchidda est Tempio, chef lieu de la Gallura; on n’y arrive qu’a travers les affreux sentiers du Limbara où la prudence commande fréquemment de mettre pied à terre.

par Danilo Loriga
J’arrivai à Tempio le jour, et au moment de l’entrée de l’évêque nouvellement nommé. Tous les habitants de ce gros village s’étaient portés à près d’une demi-lieue à la rencontre du prélat, et le cortège, bruyante calvacade, était, indépendamment des autorités civiles et militaires, de plus de trois cents hommes, paysans à barbes épaisses, armés de fusils, de coutelas; et d’abbés, de chanoines aussi à cheval, avec des parapluies sous le bras, quoique le temps fût très-beau. […]
Lorenzo Pedrone - Berger de Gallura, vers 1841
Ce riche village de Tempio, comme la plupart des autres villages de la Gallura, est bâti entièrement de pierres d’un granit gris très-dur et très-brillant.

Quelques-unes de ces hautes maisons, avec un peu d’architecture, seraient des palais dignes de Venise, de Rome ou de Forence.

Malgré sa prospérité, sa population de neuf mille sept cent soixante-cinq habitants (y compris les stazzus ou cabanes de bergers), Tempio était condamné à rester village puisqu’il était fief, et que le roi ne pouvait y nommer aux emplois. Ce n’est que depuis la suppression de la féodalité qu’il vient d’être déclaré ville.
Archives d'État de Cagliari, élévation de Tempio au rang de ville du Royaume, 1836
Giovanni Marghinotti - Roi Carlo Alberto, 1842 (peint à la mairie de Tempio Pausania, photo de Franco Pampiro)
Une jolie et très-abondante fontaine d’excellente eau, aussi en granit, avec abreuvoir et lavoir, faite en 1830, a été à tort barbouillée de blanc; l’éclat brut et naturel du granit serait infiniment préférable à un tel badigeonnage.

J’admirai l’aisance de ces belles filles de Tempio, bien drapées et pieds nus, à la taille svelte, venant puiser de l’eau à la fontaine, et portant leurs seaux légèrement sur la tète et sans jamais y toucher.

Une dame obligeante de la société de Tempio voulut bien me présenter l’une d’elles, qu’elle avait fait revêtir de ses habits de fête, costume éclatant de drap écarlate avec d’élégants boutons dorés.
Agostino Verani - Femmes du Temple, 1806-1815
Cominotti-Gonin-Lallemand - Tempio, 1826-1839
Le plus beau point de vue de Tempio est de la chapelle Saint-Laurent, appartenant à l’honorable et excellente famille Sardo dont la touchante, la patriarcale hospitalité m’a laissé un profond souvenir. Cette vue, mêlée de collines, de rochers, de vallées et de mer, offre à peu près le caractère commun aux autres vues de la Sardaigne.
Henri Louis Avelot - Tempio, ca 1894-1902
La salubrité, la légèreté de l’air de Tempio a produit la santé, la fraîcheur, la force, la beauté, le courage, l’intelligence des habitants; comme ceux de la Gallura, ils sont à tous égards les plus renommés de l’île.
par Vittorio Ruggero
Selon Fara, écrivain du XVIe siècle, historien élégant de la Sardaigne, mais quelque peu chimérique, la Gallura serait une colonie gauloise; ses armes sont un coq, et l’on pourrait trouver quelque analogie entre la vivacité de l’esprit naturel des habitants et l’esprit français. L’étymologie donnée par le vieil historien national parait préférable à celle du diffus commentateur de Dante, Christophe Landino, qui fait dériver le même nom de certains comtes pisans dont les armes étaient un coq.
coll. retecomuniitaliani.it -  anciennes armoiries de Tempio
nouvelles armoiries de Tempio
La générosité, l’honneur battent au cœur de ces montagnards. […] De toutes les provinces sardes, la Gallura avait la première presque secoué le joug féodal. La désuétude, si applicable à ce genre d’abus, et quelques coups de fusil avaient suffi. Cette sorte d’affranchissement explique la supériorité des habitants de la Gallura sur les autres Sardes, et l’aisance dont ils jouissent. Ils ont aussi trouvé moyen d’échapper à la mauvaise justice du pays, en faisant décider leurs procès par des arbitres qu’ils choisissent entre eux, espèce de jury convenu dont ils respectent les verdicts.

Le perfectionnement social, le progrès des bergers de la Gallura n’ont point altéré leur caractère, leur physionomie poétique. Ils continuent de chanter leurs vers improvisés en s’accompagnant sur la guitare. […]

La chanson du montagnard sarde n’est pourtant que l’expression de la pensée évangélique sur le droit de propre conservation, adoptée comme règle par les casuistes et les théologiens, et plus humaine, plus libérale que tous nos codes. Le nascitur poeta est vrai à Tempio, car il n’y a que ceux qui sont doués du talent des vers qui se mêlent d’en faire. La facilité poétique des Sardes parait antique et pourrait bien remonter à ce Tigellius, bizarre, interminable improvisateur de César et d’Auguste […].

Bartolomeo Pinelli - Costumes du Temple, 1828
Les femmes de la Gallura sont également douées du talent de l’improvisation: elles l’exercent par des chants alternatifs, en tissant la laine; et à l’arrivée de l’étranger, une de ces Corinnes villageoises se lève, lui présente une fleur et lui adresse un couplet.
Cominotti-Gonin-Lallemand - Graminatoggiu, 1826-1839
Une triste circonstance éveille encore leur verve: les pleureuses sont célèbres par le pathétique de leurs lamentations auprès du cadavre et dans les funérailles.
Cominotti-Gonin-Lallemand - Attito in Tempio, 1826-1839
Les divers dialectes rivaux de Sardaigne, qui se piquent tous d’être le vrai et primitif sarde, mélangés d’arabe, d’espagnol, d’italien, de grec, de carthaginois, de latin, sont des patois savants, poétiques. Le dialecte de la Gallura, le plus moderne et qui parait un pisan corrompu, est à la fois gracieux, tendre, passionné ou satirique.

Don Gavino Pes est, pour la pureté et le sentiment, le Métastase de ce dialecte, et peut-être mieux que le Métastase. Plusieurs de ses poésies sacrées, ainsi que l’ode à la fortune de Salvatore Sanna, supérieure au célèbre lieu commun du lyrique français, feraient honneur aux littératures les plus cultivées.

SOURCES D’ILLUSTRATIONS

Dessins, peintures et lithographies du siècle XIX

Lorenzo Pedrone, “Berger de la Gallura”, ca 1841, IN Luciano Baldassarre, Cenni sulla Sardegna, illustrati da 60 litografie in colore, Torino, Botta, 1841; Torino, Schiepatti, 1843 (rist. Archivio fotografico sardo, 1986, 2003).

Archivio di Stato di Cagliari, “Concession à Tempio du titre de ville, 1836.

Giovanni Marghinotti, “Roi Carlo Alberto”, 1842, IN Palais municipal de Tempio Pausania, photo par Franco Pampiro.

Agostino Verani, Tempio, ca 1806-1815, IN Scoperta della Sardegna. Antologia di testi e autori italiani e stranieri, a cura e introduzione di Giuseppe Dessì, Milano, Il Polifilo, 1967.

Giuseppe Cominotti et Enrico Gonin [dessin], A.J. Lallemand [gravure], Costumes sardes en série – Tempio, 1826-1839, IN Alberto Della Marmora, Voyage en Sardaigne, ou Description statistique, phisique… Atlas de la première partie, 1. ed. Paris, Delaforest 1826; 2. ed. Paris, Bertrand – Turin, Bocca, 1839.

Henri Louis Avelot, Tempio, ca 1894-1902, IN Marius Bernard, Autour de la Mediterranée. L’Italie. (De Ventimille à Venise), Paris, ed. Henri Laurens, 1894-1902.

Vieux blason de Tempio“, IN rete.comuni-italiani.it

Alessio Pittaluga, Berger de la Gallura, ca 1826, IN Royaume de Sardaigne dessiné sur les lieux. Costumes par A. Pittaluga [lit. gravée par Philead Salvator Levilly], Paris – P. Marino, Firenze – Antonio Campani, 1826, rist. Carlo Delfino 2012.

Bartolomeo Pinelli, “Costumes de Tempio”, ca 1828, IN Raccolta di costumi italiani i più interessanti disegnati ed incisi da Bartolomeo Pinelli nell’anno 1828.

Giuseppe Cominotti et Enrico Gonin [dessin], A.J. Lallemand [gravure], Réunion pour travailler la laine (Tempio), ca 1826-839, IN Alberto Della Marmora, Voyage en Sardaigne op. cit.

Philippine de la Marmora, [femme de] Tempio, ca 1860, IN Costumi ed abbigliamenti delle popolazioni nel Regno Sardo, 1860, (collezione Della Maria), www.consregsardegna.it.

Giuseppe Cominotti et Enrico Gonin [dessin], A.J. Lallemand [gravure], Plereuses de Tempio, ca 1826-1839, IN Alberto Della Marmora, Voyage en Sardaigne op. cit.

Don Baignu (Gavino Pes), Tutti li canzoni, Cagliari, Della Torre, 1981.

Cartes postales et photos, fin du 19ème / début du 20ème siècle

Collection Erennio Pedroni, Gianfranco Serafino, Vittorio Ruggero – Rotary Tempio Pausania; Almanacco Gallurese

Photos contemporaines

propre photo – Flickr; Danilo Loriga; Vittorio Ruggero – Flickr

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